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Avocat Nantes La Roche sur Yon Paris

L’impact du Covid-19 sur les contrats informatiques Web en 10 questions

avocat contrat informatiqueFace aux difficultés provoquées par le Covid-19, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a, le 28 février, reconnu cette épidémie « comme un cas de force majeure pour les entreprises » dans le cadre des contrats passés avec l’État, des marchés publics.

 

Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions et interrogations (ex : mes salariés sont en chômage partiel ou en télétravail, puis-je invoquer la force majeure pour éviter des pénalités de retard ; la crise à venir m’oblige à réduire la voilure, est-ce que je peux remettre en cause le contrat signé; mes clients peuvent-ils suspendre le paiement de mes factures au même motif ? etc.) mais aussi de nombreuses incompréhensions quant à ce qu’il est possible ou non de faire en pleine crise sanitaire.

Dans cet article, nous avons pris le parti, autour de dix questions tirées de notre exercice, de traiter ce sujet appliqué au secteur du numérique, tant côté prestataires (ex : éditeurs de logiciels métiers ou d’applications web, SSII, agences web, etc.) que côté clients.

Bien entendu, les réponses apportées sont transposables à toutes entreprises mais il n’existe pas de réponse unique, l’impact de cette épidémie devant, quoiqu’il en soit, faire l’objet d’une appréciation au cas par cas.

1. La force majeure : mais qu’est-ce que c’est exactement ?

La force majeure est définie par l’article 1218 du Code Civil, en son alinéa 1, comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Elle peut cependant avoir été aménagée contractuellement par les parties en prévoyant ou en excluant des cas de force majeure et en précisant les modalités de sa mise en œuvre.

Sous réserve des dispositions contractuelles applicables, un événement sera donc considéré comme un cas de force majeure s’il porte les caractéristiques suivantes :

L’évènement devait être imprévisible au moment de la formation du contrat

Si le contrat a été conclu avant l’apparition de l’épidémie, cette condition sera remplie. A l’inverse, s’il a été conclu postérieurement, l’imprévisibilité ne sera pas caractérisée.

Le marqueur temporel peut toutefois donner lieu à discussion.

En effet, s’il paraît possible de soutenir que tout un chacun ne pouvait envisager début mars la fermeture des écoles le 16 mars et 24 heures plus tard le confinement général aux motifs, qu’à cette même époque, il était largement relayé sur les réseaux sociaux qu’il s’agissait d’une « simple grippe », il pourrait, à l’inverse, être soutenu que dès le 20 janvier 2020, l’OMS déclarait le Covid-19 comme une urgence de santé publique de portée internationale…

La question sera donc, sans nul doute, largement débattue pour les contrats conclus dans cette période « grise ».

Gageons cependant que des juges saisis se montreront pragmatiques au vu de la nouveauté de la maladie et de son niveau de propagation inédit.

L’évènement doit échapper au contrôle du débiteur et ses effets conduire à une impossibilité d’exécution ne pouvant être évitée par des mesures appropriées

Si l’inexécution est directement liée au Covid-19, la condition d’évènement échappant au contrôle du débiteur peut être considérée comme remplie car si les Etats à travers le monde éprouvent toutes les peines à stopper/ralentir cette pandémie, il s’agit dès lors bien d’un événement hors de contrôle de simples contractants à un contrat.

En revanche, sauf à appartenir à un secteur interdit d’exercice (ex : les hôtels, les restaurants, etc.), démontrer que les effets de l’événement ne pouvaient pas être évités par des mesures appropriées, pourrait s’avérer périlleux.

Ainsi, par exemple, une agence web ou une SSII peuvent-elles invoquer la force majeure dans le cadre d’un projet de site internet ou d’intégration d’un logiciel métier aux motifs de la mise en œuvre massive chez un client du chômage partiel et de l’impossibilité d’aller sur site ?

Rien n’est moins sûr.

En effet dans les domaines du web et de l’informatique, rares sont les cas où la prestation à distance ne serait pas possible. En revanche, s’il peut être démontré qu’une partie de l’équipe projet ou l’une des personnes clefs bénéficiant d’une expertise unique (ex : sur un logiciel ou une base de données spécifique) a été touchée par la maladie, et qu’il n’existe pas de ressources alternatives possibles, la force majeure pourrait au moins partiellement être invoquée.

Il s’agit donc d’une appréciation au cas par cas.

Le premier réflexe consiste dès lors à se reporter au contrat signé pour savoir, le cas échéant, comment il a été convenu que la question de la force majeure soit traitée. Ainsi, par exemple, le cas d’épidémie peut avoir, purement et simplement, été exclu du cas de force majeure, et très souvent il est prévu que l’événement concerné doit perdurer dans le temps pour être qualifié de force majeure (ex : 60 jours).

2. Quels sont les effets de la force majeure ?

Les effets de la force majeure sont prévus à l’alinéa 2 du même article 1218 : « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations ».

En résumé, trois cas sont possibles :

• L’obligation rendue impossible est suspendue temporairement jusqu’à ce que les effets du cas de force majeure disparaissent. Cela sera le cas, par exemple, du déploiement d’un logiciel métier rendu impossible par l’absence des équipes du client pour procéder à sa réception.

• L’effet suspensif est écarté au profit de la résolution lorsque la nature du contrat fait que l’exécution n’aurait plus de sens si elle devait être retardée. Ainsi dans l’hypothèse d’un site internet ou d’une application mobile développés spécifiquement pour un événement donné, lui-même annulé (et non reporté) du fait du Covid-19, la résolution devrait alors être vraisemblablement prononcée, emportant obligation de restituer les sommes n’ayant pas reçu de contrepartie.

• Si l’empêchement devient définitif, la résolution s’imposera. Ce sera le cas, par exemple, si le développeur d’un site exerçant en entreprise individuelle fini par succomber des suites du Covid-19.

3. Concrètement, comment se prévaloir de la force majeure auprès de son co-contractant ?

Si vous estimez rentrer dans un cas de force majeure au sens de la loi ou du contrat vous liant à votre contractant, il vous appartient alors de :

• vérifier et, le cas échéant, respecter, le formalisme prévu au contrat pour mettre en œuvre la force majeure (ex : obligation de respecter un préavis),
• justifier, obligation par obligation, précisément les raisons qui vous poussent à considérer que la force majeure est constituée,
• préciser les conséquences que vous tirez de la force majeure, à savoir la suspension (en précisant jusqu’à quand vous estimez qu’ elle interviendra) ou la fin du contrat (résolution),
• penser à facturer les sommes qui vous sont dues pour le travail déjà accompli !

4. Peut-on résilier pour manquement un contrat en pleine crise sanitaire ?

Concrètement, rien ne vous empêche de vous prévaloir d’une clause pour manquement en pleine crise sanitaire.

Problème de taille cependant : ses effets immédiats seront annihilés par application de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 qui dispose que les clauses résolutoires, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si le délai a expiré pendant la période allant du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation d’état d’urgence sanitaire. Le délai pour exécuter est alors reporté selon les termes de l’ordonnance.

A l’inverse, si votre contrat prévoit une possibilité de résiliation pour convenance moyennant indemnisation, vous pourrez l’actionner.

Reste toutefois à évaluer au préalable l’impact opérationnel et financier d’une telle fin de contrat (ex : possibilité de relancer un projet équivalent dans un délai raisonnable passée la crise, coût de l’indemnisation contractuelle, effets collatéraux sur l’ensemble contractuel – ex : prestataire assurant la maîtrise d’ouvrage, organisme de financement, etc.)

5. Votre contractant a décidé d’autorité de suspendre le contrat pour force majeure : comment réagir ?

La crise frappe de plein fouet votre client. Sous couvert de la force majeure, il souhaite, dans les faits, temporiser voire stopper l’exécution de votre prestation pour alléger sa trésorerie.

Face à une telle situation, il est recommandé :

• d’évaluer la conformité de la qualification de force majeure retenue et le respect par votre client des conditions de sa mise en œuvre par rapport aux termes contractuels convenus et à la loi,
• de lui demander, si nécessaire, des précisions sur les circonstances qui empêcheraient une poursuite par des moyens appropriés,
• d’apprécier les conséquences financières de son côté versus sa capacité à exécuter ses prestations dans le contexte de crise, et donc de voir si une renégociation des termes contractuels ne serait pas plus avantageuse que de s’arc-bouter sur les termes du contrat initial, et l’absence de force majeure qui ne sera pas tranchée en un jour si un juge doit être saisi,
• procéder à la facturation ce qui peut être facturé au titre des prestations exécutées et réceptionnées.

6. Puis-je profiter de la crise pour ne pas renouveler des abonnements logiciels/services web coûteux pour mon entreprise ?

La réponse est oui si le délai pour dénoncer le contrat expire pendant la période allant du 12 mars à un mois après la fin de la crise d’urgence sanitaire.

Cela ressort de l’article 5 de l’ordonnance précitée qui donne alors jusqu’à deux mois après la fin de la période précité pour dénoncer le contrat.

Pratiquement, il est donc particulièrement intéressant de passer en revue si certains abonnements coûteux pour l’entreprise à des logiciels, bases de données ou services web (ex : webmarketing, référencement web, etc.) n’expirent pas pendant cette période, et donc en profiter pour alléger ses charges, changer de prestataire ou renégocier ses contrats.

7. Mon client peut-il, au motif de la crise sanitaire, refuser de régler des prestations dues ?

La réponse est négative car la force majeure « financière » n’existe pas.

Cela a été acté par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 septembre 2014 aux termes duquel il a été jugé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».

Cependant, si la validité d’un contrat portant sur un projet informatique ou web a été conditionnée à un accord de financement par un organisme de crédit et que celui-ci est refusé en raison du contexte incertain, la situation sera alors différente et le contrat pourra, dans ce cas, à l’inverse, être remis en cause.

8. Une clause pénale ou une astreinte produisent-elles leurs effets pendant la crise sanitaire ?

La réponse est négative comme pour le cas de la clause résolutoire précitée. Ainsi par exemple, une clause pénale (à savoir une clause qui sanctionne par le paiement d’une pénalité déterminée à l’avance un manquement) sera réputée n’avoir pas pris cours ou produit effet si le délai a expiré pendant la période allant du 12 mars 2020 à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de la crise.

9. Mon client peut-il exiger le remboursement d’un acompte versé pour une prestation suspendue en raison de la crise sanitaire ?

Si le versement de l’acompte n’était pas conditionné à l’exécution des prestations, il apparaît impossible d’exiger ce remboursement sauf si l’exécution est devenue impossible pour cause de force majeure entrainant la résolution du contrat, et donc la restitution des sommes.

10. J’ai entendu parler du mécanisme de la révision pour imprécision : kesaco et puis-je m’en prévaloir ?

Ce mécanisme est prévu par l’article 1195 du code civil qui dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. ».

En résumé, trois conditions :

• d’une part, un changement de circonstances imprévisibles (selon la date de signature du contrat, le Covid-19 constitue une telle circonstance),
• d’autre part un changement entraînant une exécution excessivement onéreuse,
• et enfin il ne faut pas que, contractuellement, la partie subissant cette exécution excessivement onéreuse ait accepté ce risque.

Ce mécanisme pragmatique applicable pour les contrats conclus depuis la réforme du droit des contrats de 2016 mais souvent prévu antérieurement par des clauses dites de « hardship » pose toutefois des difficultés, car ses effets positifs sont directement liés à la volonté des parties.

Ainsi, sans accord des parties pour renégocier le contrat ou y mettre fin, seule la saisine du juge est offerte pour trancher la question avec la contrainte que pendant cette période de renégociation les parties doivent continuer à exécuter leurs obligations contractuelles…

Autre contrainte : le Covid-19 ayant entrainé la fermeture des juridictions qui tournent au ralenti, la saisine du juge dans un délai raisonnable et compatible avec la temporalité du contrat apparaît des plus hypothétique.

 

Vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet, un avocat RGPD du cabinet SOLVOXIA se tient à votre disposition. 

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